Peut-on envisager un nouveau rythme pour la mode ?

Peut-on envisager un nouveau rythme pour la mode ?


L’orage grondait depuis décembre, mais c’est en mars qu’a frappé la foudre. Le coronavirus aura mis une bonne partie du monde à l’arrêt, et tout particulièrement le monde de la mode occidentale. A partir de janvier, la Chine rentrait progressivement en quarantaine. Les autres pays ont suivi chacun leur tour, jusqu’à la France en mars. Les secteurs non essentiels à l’économie du quotidien ont été ralentis voire stoppés momentanément. La mode n’a pas échappé à ce destin.


Les ateliers, délocalisés, ne tournaient plus. Des collections entières se sont retrouvées bloquées en Chine. En France, les magasins de vêtements ont fermé, et n’ont rouvert qu’en juin. L’affluence dans les boutiques s’est affaiblie par rapport à l’avant. Ce confinement aura montré les limites d’un système arrivé à bout de souffle, dans une course au toujours plus, au toujours plus original. En moins de trois mois, c’est tout le monde de la mode – de la haute couture au prêt-à-porter – qui aura été ébranlé, et qui ne se relèvera pas si facilement, à moins d’un changement radical, proposé par des marques et designers.

La mode est un sport maintenant : il faut savoir courir.
C’est ainsi que Karl Lagerfeld décrivait son métier de directeur artistique. Nous avons en tête ces images tirées de films, où des dizaines de petites mains s’affairent en tous sens autour de mannequins, pour apporter une dernière retouche juste avant de monter sur le podium. Un ultime effort, intense. Sauf que l’effort est permanent. Le grand défilé a en effet lieu jusqu’à six fois par an ! Soit une nouvelle collection tous les deux mois. On comprend mieux l’attrait étonnant du créateur pour le sport.

Il y a bien longtemps que le monde de la mode ne se limite plus aux deux saisons canoniques.
S’ajoutent désormais aux collections Printemps-Été et Automne-Hiver des pré-collections, des
collections capsules, des collaborations… La mode étant un éternel recommencement, les années
2000 ont vu revenir une pratique initiée dans les années 1920 : les collections Croisière. A l’époque,
ces collections s’adressaient aux plus riches, qui voyageaient l’hiver vers des destinations plus
chaudes. Aujourd’hui, ces collections proposent davantage des habits qui puissent être portés toute
l’année. De la même manière, les collections Prefall accompagnent la transition de l’été vers l’hiver.
Et si ces collections sont si prisées par les couturiers, c’est qu’elles sont les plus lucratives …
Autre précision sur le calendrier : entre la présentation d’une collection et sa mise en rayon,
il s’écoule plusieurs mois. Cela se justifiait lorsque les groupes ne faisaient que de la haute couture –
il fallait un délai de fabrication des pièces – mais beaucoup moins aujourd’hui qu’ils font plutôt du
Source : Marie Claire
(https://www.marieclaire.fr/gucci-ne-
presentera-plus-que-deux-collections-par-
an,1349592.asp), où plusieurs articles
reprennent la chronologie des marques
réclament un nouveau calendrier

prêt-à-porter haut de gamme. Il y a donc toujours un événement malgré un décalage saisonnier.
Pour vous y retrouver, MyCouturier vous a dressé le calendrier de la mode féminine, à partir
d’ABCféminin. (https://www.abcfeminin.com/comment-se-deroule-le-calendrier-de-la-mode-
feminine_a1056_3.html)

C’est pour faire face à la concurrence et à leurs 52 collections annuelles que les grandes maisons de couture ont instauré ce système de collections à répétition. Il faut renouveler en permanence l’intérêt des client·e·s pour ne pas qu’ils aillent voir ailleurs. Mais impossible en huit semaines de laisser libre cours à son imagination, de pousser l’audace jusqu’au bout, de soigner le moindre détail.
Designers et créations sont malmené·e·s. Raf Simons avait ainsi quitté Dior, après quatre ans de service, par ces mots : “Quand vous préparez six défilés par an, vous n’avez pas assez de temps. Techniquement, oui – les gens qui font les prototypes, les premiers assemblages, ils peuvent le faire. Mais vous n’avez pas le temps de cogiter vos idées alors que c’est très important.”.

L’occasion de repenser le rythme de la mode

Une fois que l’on connaît ce planning bien rempli, on comprend qu’un grain de sable puisse détraquer la mécanique bien huilée de la mode. En 2020, ce grain de sable a été le Covid-19. La collection Automne-Hiver 2020 avait été présentée juste avant les mesures de confinement. Puis, les grands rassemblements de la mode ont été annulés. La Fashion Week de Londres s’est tenue virtuellement, alors que certaines gammes n’étaient pas bouclées, par manque d’approvisionnement. A tout cela s’ajoutent les stocks de la collection Printemps-Été, qui n’ont pu être vendus correctement, confinement oblige. Les soldes, qui auraient dû débuter ce mercredi 24 juin, sont finalement décalées au 15 juillet. De quoi, peut-être, rattraper une partie du retard.

Le système est alors apparu absurde, déconnecté des besoins et attentes des consommateur·rice·s, soumis à un rythme infernal, passé d’un univers autrefois artistique à un pôle de consommation comme les autres. Comment mettre en avant la perle rare lorsque l’on n’a plus le temps de laisser la perle se former ? Par l’idée de luxe, le décorum. Les défilés se sont transformés en shows dignes des stars mondiales : lieux somptueux, décors de rêve, dépenses colossales. L’important est d’en mettre plein les yeux. Beaucoup plus difficile en temps de crise, quand il n’y a plus ni spectateurs ni podiums.

C’est ainsi que le 12 mai dernier, une « Lettre ouverte à l’industrie de la mode » a été publiée et signée par plus de 40 designers et professionnels du secteur comme l’indique Vogue appelant à un « changement fondamental et bienvenu qui simplifiera nos activités, les rendra plus durables sur le plan environnemental et social et les alignera finalement plus étroitement sur les besoins des clients ».

Des initiatives pour refonder le monde de la mode

Le premier semestre 2020 aura été une période charnière. Dès le mois d’avril, de grandes décisions ont été prises, imitées, soutenues, qui augurent d’un renouveau de la mode, dans une optique plus éthique, plus écologique, plus artistique. D’abord, Saint Laurent Paris, suite à l’annulation de la Fashion Week de Paris, a fait savoir qu’il se retirait du calendrier officiel, pour en adopter un qui soit plus créatif qu’économique. Un mois plus tard, c’est Gucci qui annonce revenir à un rythme de deux collections principales par an. En juin, Michael Kors rejoint le mouvement. 

Ces marques, signataires ou dissidentes, avancent au final sur le même chemin : celui d’une mode plus en accord avec son temps. De nombreux changements sont demandés : le retour à une cadence de deux collections principales par an, des défilés moins spectaculaires mais remettant la mode au centre, une chaîne de production et de présentation plus respectueuse de l’environnement, des soldes plus réglementées, la fin du Black Friday … Autant de bonnes initiatives qui ne demandent qu’à être structurées en un nouveau modèle, plus soutenable pour ses acteur·rice·s et pour la planète.

Réelle bonne volonté ou actions de circonstance ?

Cette prise de conscience est à saluer, mais l’on ne doit oublier qu’elle prend place dans un contexte particulier : celui d’une crise sanitaire ayant contraint à l’arrêt ce secteur d’activité. Pour la journaliste Dana Thomas, auteure du livre Fashionopolis, la refonte du système ne pouvait se passer que pendant une pause généralisée, qui laisse le temps et la possibilité de repenser clairement les choses. D’ailleurs, certaines tentatives allant dans ce sens avaient échoué, faute de soutien, à l’instar des designers de Proenza Schouler qui avaient quitté le calendrier officiel en 2018, avant d’y revenir. Ce qui change cette fois-ci, c’est que le mouvement semble d’ampleur.

Toutefois, il faut rester prudent sur ces paroles. C’est justement parce que le calendrier est bousculé qu’il est nécessaire de le modifier. Michael Kors déclarait que ce qui le poussait à décaler la présentation de la collection Printemps-Été entre la mi-octobre et la mi-novembre au lieu du mois de septembre était le fait que la collection Automne-Hiver sortirait en même temps, source de confusion. Le discours sonne plus utilitariste qu’écologique. Le risque serait que ces déclarations ne servent qu’à arranger le décalage dû à la crise, avec une reprise du rythme habituel lorsque l’on sera revenu à la normale.

Les effets d’annonce ne sont pas rares, dans la mode comme ailleurs. L’éco-bragging, soit le fait de clamer haut et fort son engagement et ses exploits en matière d’écologie, sans réelle remise en question par ailleurs, se développe en parallèle du greenwashing (insérer lien vers article). L’effet est le même : trouver l’arbre capable de cacher la forêt. Les marques font la course à qui annoncera la mesure la plus écologique, à qui dénoncera le mieux, sans remettre en cause leur façon de faire ou le nombre de pièces produites.

S’il est évidemment trop tôt pour juger des actions, on peut tout de même se réjouir de cette prise de conscience qui semble agiter le monde de la mode, dans une large part. Pour la première fois, un grand nombre de marques et les chambres de la mode s’accordent pour repenser en profondeur tout le système, du calendrier aux défilés, des soldes à l’empreinte écologique. Il reste à voir ce qu’il en sera concrètement, d’ici quelques mois.

Couturement vôtre,