Mode durable : la Fashion Week et l’industrie du luxe entament un virage écologique

Mode durable : la Fashion Week et l’industrie du luxe entament un virage écologique

A l’occasion de la Fashion Week de Paris en janvier 2020 durant laquelle Jean-Paul Gaultier a présenté son dernier show haute couture , le créateur français a témoigné de son attachement à une mode durable en présentant sa première collection haute couture upcycling. Sa façon à lui de montrer à tous que haute couture et prêt-à-porter de luxe peuvent rimer avec mode durable, et que des initiatives sont possibles pour limiter l’impact sur la planète de la deuxième industrie la plus polluante du monde.
Cette adaptation de l’industrie de la mode de luxe, celle des défilés, des podiums et des magasins prisés par les plus fortunés, n’étonne pas et s’inscrit dans l’ère de son temps, tentant de combler le décalage de plus en plus béant entre le rythme effréné des collections sans cesse renouvelées avec des Fashion Week presque mensuelles aux quatre coins du monde, et les tentatives de ralentissement de ce rythme.

Une empreinte écologique
catastrophique

Derrière le côté fastueux de la Fashion Week, vitrine des plus grands créateurs et des plus belles pièces, se cache un aspect plus obscur, longtemps ignoré par tous les acteurs de l’industrie et pourtant bien présent : l’empreinte écologique d’un tel évènement. Entre les déplacements en avion des invités, créateurs et mannequins d’un défilé à un autre, la mise en place de décors éphémères toujours plus impressionnants, la création de pièces constamment renouvelées, les Fashion Week polluent bien plus qu’on ne peut l’imaginer.

Même s’il est compliqué d’évaluer l’empreinte carbone des défilés en eux-mêmes, une étude menée par Zero to Market a montré que les seuls voyages et trajets engendrés par les quatre principales Fashion Week mondiales, à savoir celles de Londres, Milan, New York et Paris produisent plus de 240 000 tonnes de CO2, ce qui correspond à la pollution générée par plus de 3000 ans d’éclairage de la Tour Eiffel. A côté de ce coût environnemental, la semaine de la mode est une véritable aubaine économique pour les villes qui l’accueille, avec des retombées évaluées pour Paris à « 1,2 milliard d’euros par an et 10,3 milliards d’euros en termes de transactions financières » selon Pascal Morand, avec plus de 300 défilés et 14 000 exposants sur l’année.

L’empreinte écologique de l’industrie du textile de luxe en elle-même reste aussi désastreuse que celle de l’industrie de la mode en général, même si la problématique est quelque peu différente puisque le coût des vêtements est plus élevé et leur fabrication plus raisonnée.

Une volonté écologique et des revendications
clamées aux portes des Fashion Week

Dès la Fashion Week 2018, Chanel avait indigné en déracinant des dizaines d’arbres pour un défilé d’une dizaine de minutes au milieu d’une forêt de chênes et de peupliers, organisé au Grand Palais, questionnant ainsi sur une industrie du luxe sans cesse poussée à l’excès et irrespectueuse de l’environnement. Malgré la réponse de la marque assurant qu’elle avait récupéré ces arbres « dans le cadre d’un plan de coupe autorisé et s’engageait à replanter une parcelle de cent nouveaux chênes », les associations écologistes étaient rapidement montées au créneau, dénonçant une « hérésie » et appelant à une adaptation des pratiques de l’industrie aux enjeux de son temps et à ceux d’une mode plus durable et éco-responsable.
L’année suivante, en 2019, les manifestations du collectif Extinction Rebellion en marge de la Fashion Week londonienne réclamant l’annulation des défilés, ne sont pas passées inaperçues et ont encore une fois mis le doigt sur les décalages entre les préoccupations environnementales du plus grand nombre et les organisateurs d’évènements qui continuent encore trop souvent à faire la sourde oreille face aux critiques des excès qu’ils engendrent : « La mode devrait être un symbole culturel de notre époque, et pourtant elle adhère toujours à un système archaïque de saisonnalité et de nouveauté implacable en temps de crise ».

La mode, et en particulier la haute couture, est utilisée depuis plusieurs années pour faire passer des messages forts aux hommes politiques, mais aussi à la société qui les regarde. Après la Fashion Week de New York en 2017 marquée par des bandeaux blancs exprimant l’opposition des créateurs à un décret anti-immigration promulgué par Trump et les éditions 2018 des Fashion Week ayant défendu le mouvement #MeToo, l’année 2019 a servi de scène médiatique pour la défense de combats relatifs au changement climatique.

Pour Majdouline Sbai, le rôle important que peuvent jouer les entreprises de luxe ne doit pas être nié « parce qu’elles ont un pouvoir d’influence considérable sur l’ensemble du marché » du textile. La multiplication des initiatives sur le long terme a le pouvoir de faire changer les choses, en remettant en cause les pratiques de l’industrie de la fast fashion face à des revendications environnementales de plus en plus pressantes.